Imaginons une foule affairée. Des hommes industrieux en charge de la production. Des ouvriers, des ouvrières. Des femmes qui se font belles. Des acheteurs, des acheteuses. Au milieu de cette foule, parmi ceux qui cherchent un moyen de ne pas avoir à dormir pour pouvoir faire plus, il y a cette fille vivement oisive, Flemme. Depuis qu'elle est enfant elle se cache pour faire ce qu'elle préfère : rien ou presque. Marcher pieds nus dans la mousse. Assister à un concert d'oiseaux. Courir nue sur la plage. Regarder la lune.
Maintenant adulte, plaisir suprême : voir des hommes en action. Sur les chantiers Flemme trouve des endroits pour observer sans être vue. Des muscles, de l'effort, de la transpiration. Sans domicile, sans argent mais toujours capable de ressentir la volupté de la joie, Flemme menace les valeurs de la foule. La foule a construit son monde sur une simple règle : pas de plaisir sans argent.
Le rire de Flemme est un affront au sérieux du travail. Sa manière de vivre simplement pourrait tout remettre en question. Alors on la traque, on la montre du doigt, on la raille. Mais Flemme s'en moque. Elle sait que la foule n'est pas prête à changer, qu'elle est encore trop attachée au matériel pour voir que la beauté n'a pas de prix et la jouissance pas besoin d'être méritée. Et Flemme sait aussi que la fin de ce monde pourrait aussi marquer la fin de ces endroits où les hommes bougent et transpirent.